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diaphane express

26 octobre 2005 3 26 /10 /octobre /2005 22:00
J’avais froid.
Pieds nus sur les dalles, harnaché, bardé de lourdes couleurs, hautain, il me dit : "Qui es-tu, qu’as-tu fait ?" Je sentais la souffrance à venir, déferlement de violence et de haine. Il m’écoutait ou plutôt ne voulait plus m’entendre. "Mon royaume n'est pas de ce monde, mon royaume n’est pas d’ici."
Pâleur des choses, hypocrisie du jeu. J’avais froid, au corps et au cœur. Toutes ces nuits passées dans l’écœurement. Au début, l’espoir des autres, puis l’espoir d’une autre, puis plus rien. Il ne voulait pas se prononcer, je lui faisais peur. L’ultime personne à me juger, se refusait à le faire, effrayé par la solitude, la mienne présente et la sienne à venir.
J'ai oublié le reste. Je me souviens d’une bousculade, de coups et de griffes sur ma peau, de gens hystériques, affamés de mort, du ciel grisâtre, et de longs couloirs sans vie. Ils me firent tomber brusquement, dans le silence. Je ne pouvais même plus haïr. La chlamyde pourpre qu’ils me mirent me réchauffa un peu. Chaque crachat sur ma joue devint une fleur. Ma souffrance devint ma force, leur plaisir mon indifférence. Je me souviens du grand, qui soudain s’approcha. D’un geste nerveux, il m'ôta le manteau, puis se reculant, observa ma nudité d'un regard sans limite. Le froid de nouveau et les autres pétrifiés. Mes pieds étaient sales, sur mon ventre perlait la sueur, je relevais mes cheveux. Je me vis pour la première fois.
Souvenir de sa main douce sur mon sexe, de sa bouche égarée, humide.
J’étais comme eux, matériel et laid, pantin sous la pluie, un gosse qui hurle dans le vide. Et j’ai crié, du sang dans la bouche, j’ai éructé sous le fouet des organes de désespoir, j’ai imploré la force et mon amour de toi. Spasmes et dégoût, douleur et néant.
De nouveau la foule, mon épaule écorchée, le poids de la bêtise. On m’arrache, on me bat, le sang et la fange, la sueur et la cruauté. Je tombe, mon dos n’est qu’une plaie, on m’insulte, on me tue. On éjacule sur moi la stérilité du monde. Je vous vois tel que vous êtes, fantômes blafards vous fuyant vous-mêmes. Je vous vois tel que vous êtes, sordides et mesquins, dénués de compréhension, tourbillonnants dans votre propre défécation, épaves de l’habitude et du mensonge. Quelqu'un m'aide, je me relève, mon fardeau est moins lourd.
Mais ou est-elle ?
Et soudain j’aperçois, vague colline en terre battue, pas une herbe, juste fleurie de cadavres, décomposition de l’humanité, charnier du monde. Le temps est long, je ne la verrais plus. Le bruit mou du bois qui tombe sur le sol, ils sont là, tous, silencieux et avides. Conseil de l'ordre, moralisateurs, chevaliers de la répression, intellectuels fous, vendeurs de vérité, soldats échevelés devenus machines, badauds curieux, voyeurs et sadiques. Vision symbolique de la vie et de l’homme. Je suis sur le bois, je sens la corde serrer mes bras, mes veines qui gonflent. Je vois leurs visages grandis par la démesure et l’attente. Je suis petit, souillé, déformé et hideux.
Elle n’est pas là.
Les liens sur mes jambes, l’éveil exacerbé du corps, du mercure dans les veines. Et puis, j'ai serré les dents, une éponge dans la bouche, l’écho saccadé du marteau. Enfoncement vers l’oubli. Je me regarde, et je vois mon supplice qui passe dans leurs yeux, les fait briller. J’ai mal, dérisoire de l’existence, du sang sur mes mains, du sang rouge comme le ciel maintenant. Ne pas hurler, ne rien leur donner, pas même l’agonie. Je vous comprends désormais, je vous connais. Vous vous tuez vous-même et vous trichez en plus. Vous êtes des charognes dont les vautours ne veulent même pas.
Et toi, tu n’es pas là. Me faut-il la mort pour te comprendre ?
J’ai mal, mal comme vous ne pouvez imaginer, mal aux mains, aux pieds, mal à l’âme. La sueur sur mon front, je quitte la terre. Des soldats hissent mon support, je m'élève et je vois la foule. Des milliers de regards qui brillent, des milliers de miroirs sans teint, d'étincelles d'inconscience. Le poids de mon corps tire sur mes membres, agrandissant mes plaies, ravivant la douleur. Et vous avez peur, vous êtes plus cloués à mon image, que ma chair sur le bois. J’ai soif.
Je ne te vois pas.
J’ai du dire que j’ai soif, on me tend une étoffe, ruisselante. Dernier cadeau de votre part, acidité du vinaigre. Jusqu’au bout, vous m’aurez donné la force de vous quitter, sans peine. Je crache ce poison, cet acide sur mes lèvres. Je sens mon souffle se raccourcir, et la brume m’envahir. Je lève la tête. Le ciel qui gronde, déchirement de nuages, du noir sur du gris. Complicité des éléments ?
Je te cherche parmi les autres, je t’attends encore.
C 'est toujours le silence. Trop d’émotions pour vos cœurs amorphes ou manque de volonté à vos actes glorieux.
C’est le silence. Pourquoi m'as-tu abandonné ?
Et soudain j’entrevois. Mes larmes et le brouillard m'empêchent de discerner. Dans la foule, un murmure. Je baisse la tête, et la lance qui s’approche. Inconsciemment je tends ma poitrine vers ce baiser final. Je n’ai plus dans le cœur que le vide de ce monde, et bientôt ce fer brillant qui va m’offrir l’oubli. Spasmes, voiles d’ombre, je sens la chaleur d’un fluide réchauffer ma peau. Et doucement, usé jusqu’au fond de moi, avant de vous donner mon dernier souffle, je te vois, à genoux, au pied de mon calvaire.
Et ta main qui se tend, ultime cri d’amour.
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commentaires

A
Un an après, je relis ta première page  ; ce texte est toujours aussi sublime et j'ai envis que les hasardeux de passage pensent à le relire aussi . Les blogs nous ont  permis de nombreux échanges et ma foi  que dire d'autre que ...pourvu que ça dure ...
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D
<br /> <br /> Annick je suis trés touché par ton comm, pour plusieurs raisons : d'abord tu fus la première à me laisser un message au début de cette aventure et c'est un symbôle<br /> et puis moi qui ne suis jamais trop content de ce que j'écris, ce texte m'est à coeur et tu as fouillé dans l'armoire pour le ressortir - et puis tu es une des rares (avec Merbel) avec qui le<br /> blog est devenu interactif, je pense à notre oiseau, cet envol de mouette - puissions-nous regarder le pied du mur et y inventer ce qu'il y a derrière - merci encore Annick<br /> <br /> <br /> <br />
M
Salut Daniel, trois heures de dance non stop (pour moi) ce samedi... aux déhanchés afros et majeurs... (trop cool !)  La route était longue et partagée - alors j'ai noté ces mots d'un copilote définissant ma version du "Maître"... Puisse-t-elle vous éclairer à son tour ?<br /> "Ma réalité, mon Maître"<br /> Faute ! Faisant rien, ayant rien, disant rien, commettant pas non plus l'erreur !<br /> Non ! Ma réalité, mon Maître...<br /> Il la chante et charme... lâchant son arme, la danse - fluide, innocentant vertical aux cerneaux d'angle méticuleux et droits mon antenne droite et sa vision gauche... <br /> Sa réalité invisible tient à la vie force de gravité de l'urgence à aimer un silence non négligeable et son ardent menteur peut l'oublier, donner ce baiser offert à sa prière - un oxygène actif, intense, jouissif et transfiguré aux coups reçus bleutés... 
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M
Je sais maintenant que c'est mon préféré, parce qu'il habite de sa parole, respectée. Tant d'humanité en vie, en l'air et en mouvement...
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D
<br /> <br /> oui marie-gabrielle, certains pouvaient me dire c'est prétentieux se prendre pour lui et ramener celà au sexe et au coeur, mais il en est autre, c'est de l'unique dont il est question, le<br /> ravage, celui de l'impossibilité du corps et du coeur<br /> voila au fond de moi<br /> <br /> <br /> <br />
A
C'est sublime .
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voyages immobiles

pétrir les nuées,

ce jus d’humain

écarlate et bleu parfois

aux stries asséchées,

des paradoxes d’histoire

font les aubes béates,

se pencher au miroir tremblotant,

s’y voir et plonger la main

à tâtons y cueillir l’amour

city.jpg

viens,

il traine ici des relents de soufre,

ces nuits d’uniformes

de cagoules et de coups,

palper les vides,

filets d’égoïsme, d’ignorance,

gris et encore cramoisis,

villages bombardés,

vos crachats meurtriers font les différences,

aux arrières cours,

les limousines et costumes veillent,

cravates au fond des banques,

transis mais toujours à l’affut,

retrouver la rue,

le droit de dire, de se préserver…

 

viens,

on va se faire des baisers,

se toucher et frémir,

se plonger en iris,

dire caresses et mots,

faut surmonter comme excrément peut-être,

leur héritage,

leurs protocoles et tabous,

et si les gestes sont mêmes,

les échéances dévoreuses et lénifiantes,

ne laissent en germes

que déserts et murs,

sur la vitre,

méandres de pluie,

ta peau aux confins d’étoffe,

survivance éphémère et fragile,

faire avec l’instant…

thailande.jpg

viens

ne pas se perdre au fond des jungles,

aux chauds effrois du désert,

aux spasmes du fleuve, tourmenté et haletant,

chercher le parasite au tréfonds du poil,

ces sourires édentés,

de sagesse, d’aride et de moussons,

les peaux se touchent, se mêlent,

engluées,

débris de marécages, forêts tatouées au bitume,

filets qui suintent, dépouillés de frémissements,

glaces orphelines et mourantes,

on tend même plus la main

pour dire au secours, pour connaître l’autre,

des bruits de sirène et de moteurs,

si loin de l’ocre cloaque des eaux nourricières,

et ces marbrures vérolées qui veinent l’argile,

sagesse.jpg

viens

traversons ensemble

la courbe de brume et ces vagues d’illusions,

dans leur coupe, le sang du sacrifice

tout comme la bombe dans l’autobus,

l’âme a perdu son âme,

à l’ombre de l’édifice, pèlerins affamés d’ailleurs,

englués de certitudes,

croix, croissant, étoile,

la mitraillette aux portes du temple,

et des voiles de drapeaux et d’armures,

derniers battements de cœur,

mais restent les légiférants,

et nous courbés, boucliers d’égoïsme,

muets et tremblotants,

voila quelquefois des mains qui se serrent,

les bouches fumantes des sillons chuchotent,

aux reflets aveugles des cités,

je suis à genou ?

peut-être avec toi,

juste au nom de l’humain…

auroville.jpg

...

Dans L'armoire

une présence

...un peu de douceur,
dans un monde de brutes...