maman, c’est toi la première qui m’a parlé d’Oscar, tu t’en rappelles toi, tu n’as pas les mêmes souvenirs que moi, c’était le maréchal-ferrant au village celui qui bichonnait les sabots de ces fiers animaux sans qui l’homme ne pouvait travailler
quand il passait au travers les rues, dressé sur sa monture, tu allais ramasser les crottes, c’était du bon humus pour la terre, tu l’admirais, nul dans le bourg n’avait son pareil pour apprivoiser les chevaux et il était fier de cette complicité avec la bête
tu l’aimais bien Oscar, tu l’as vu se marier avec Joséphine et t’as même connu les deux progénitures qu’ils ont eu
l’un est parti au loin, l’autre est restée au village
elle s’appelait Micheline, elle s’est mariée et a eu deux enfants
et puis la vie, le temps, ont brisé leur couple, Oscar a occupé la maison en face de Micheline et Joséphine est venue rejoindre sa fille
en campagne c’était comme ça, on abandonne pas la matrone et Oscar a vécu en face, de l’autre coté de la rue, juste une annexe de la grange ou il s’était aménagé un couchoir et une cuisine, ces hommes là vivaient de rien
et Micheline s’est mariée à son tour, elle a eu ses enfants
et un jour, tu n’étais plus là maman et moi j’étais pas encore voisin, le mari de Micheline s’est pendu, dans la grange, pour d'obscures raisons, là, juste à coté du taudis d’Oscar
et lui le patriarche, il a rien dit, il disait jamais rien, tout seul avec son bâtard de chien malade à sentir l’age lui enlever la sève qui l’avait toujours nourri
et puis moi, je suis devenu voisin, j’ai construit ma maison à coté de Micheline et d’Oscar même que son chien à Oscar il me faisait toujours la fête, il m’aimait bien je crois
j’ai connu les enfants de Micheline, un gars, une fille
la fille, elle est partie s’installer ailleurs quand elle a trouvé son homme et le fils il est resté au foyer maternel et lui aussi un jour il a ramené sa petite amie
alors Micheline, elle a dit, attends on va agrandir la maison d’Oscar comme ça tu pourras l’habiter avec ta fiancée
et on a fait venir les maçons, on a rien demandé à Oscar et on s’est implanté chez lui
et moi le soir quand je rentrais du boulot, je m’arrêtais pour discuter avec lui et caresser son chien et je le voyais bien, diminuer de jour en jour, me raconter qu’il n’était plus dans sa maison qu’il ne savait plus bien pourquoi il était encore là puisqu’on ne le voyait plus
son modeste lavabo avait été transformé en salle de bain et quand il y allait, il ramassait des culottes et des serviettes périodiques,
à table on mangeait sans se soucier de sa présence mais on savait bien lui laisser les tâches pénibles, rentrer le bois, ramasser les feuilles, abreuver l’âtre ou bien retourner la terre dans le potager
et puis un soir, j’ai pas vu Oscar ni son chien et Micheline sa fille est venue me voir à la tombée de la nuit, elle ne pleurait pas mais semblait affectée
Oscar, il s’était pendu lui aussi à la même poutre de la grange
et cinq jours plus tard son chien mourrait de faim devant sa tombe
depuis je suis parti, je ne mets plus les pieds dans ce village maudit
on peut tuer à petit feu, sans haine
juste avec de l’indifférence
puisse ce texte lui rendre hommage et perpétuer sa mémoire