c’est l’heure des aubes tièdes
quand le cœur des villes s’ébroue de son mutisme nocturne pour retrouver le ronronnement piaillant que la clarté fait naître, les étals se garnissent de viandes ou fruits frais, et les silhouettes de cires ou de plastique aux reflets des vitrines revêtent leurs nouveaux habits,
on éteint les projecteurs, tourne un peu l’immobile modèle pour mieux l’offrir au regard frileux et critique du promeneur-consommateur,
l’heure du quotidien qu’on ne lira pas, du croissant avalé de travers, du dehors à la clim aseptisée du bureau et de ses rites
ils sont arrivés, discrets, juste visibles à ceux qui ont des yeux, sont restés quelques jours, ont crevé les devantures maquillées et froides, ont fui par les toits
j’avais rien vu, je vous jure, je n’avais pas remarqué doucement au fil des deux premiers jours ses pieds et ses jambes se fondrent, si las de ces silhouettes vendeuses et stéréotypées,
ce matin comme un autre, peut-être les yeux plus ouverts, le cœur béat
il est là, impudique nous montrant sa fin à venir, silencieux et ailleurs
flaque de poussières
et j’ai crains le pire
et le pire est arrivé,
naufrage lent et agressif
un visage au fond du seau, non !
juste une serpillière
et notre gueule claquée au carreau
soudain plus d’échoppes, plus de marques, ils se réveillent ou squattent ces mètres carrés d’exhibition, égoïstes et impudiques, je me souviens son ventre, je m’étais arrêté, étonné de ce pied indécent qui crève la peau et là, figé, je le vois, avide et démesuré, allez sors, sauves-toi de ce carcan liquide et aveugle, montre ta tête, fragment d’humain boursouflé, impatient,
il la tire, l’attire et son âme avec, j’en suis sur,
emmènes-là aux crêtes des quartiers loin des vitres et de leurs illusoires passages
ton visage qui mange le sourire de ta mère
et puis, ceux de la rue qui nous font détourner la marche pour les éviter et les ignorer encore, leur caddie fourre-tout, juste le ramassis de nos projections, pourquoi de l’autre coté,
y déployer son rêve peut-être, terrasser l’indécent au profit du juste, les voiles gonflées même draps, torchons ou plastiques amènent au bonheur, grimpe, approches-toi du ciel, de la lumière, tu sais déjà l’illusion des valeurs, te reste l’évasion, à la bouche des ports, vaisseaux scintillants, ton envol au travers la ville, va…
« L'Angélus est un tableau que j'ai fait en pensant comment, en travaillant autrefois dans les champs, ma grand-mère ne manquait pas, en entendant sonner la cloche, de nous faire arrêter notre besogne pour dire l'angélus pour ces pauvres morts » disait Millet.
nos aveuglements de rides aux berges des paupières, l’imaginaire nous tire vers le dérangeant, des sillons de la glaise nos anus en récolte et ces visages de douceur tatoués au métronome des saisons, la buée qui s’estompe, sagesse des plaines, invisible, piétinée
rêve écolo, épluchés champs et sous-bois, à l’affut comme le chien nourri juste pour ces jours de traverses, de battues, la mort entre deux verres, plumes et poils battants au dernier souffle, l’œil rouge de l’animal au regard torve du chasseur, et derrière l’habillage guerrier, la nature qui se venge, tentacule végétale patiente et sure, même le compagnon à quatre pattes mime l’indécence et le folklore meurtrier, c’est bien la terre qui te mangera et tu n’y pourras rien, allez cherche un refuge, traqueur traqué
il était dans la vitrine opposée, bras tendus, il lui disait « je t’aime » au bout du papier puis il a traversé la rue, s’est retrouvé prés d’elle, tout prés, à l’embrasser, à lui couper le bras de l’anneau, celui de l’alliance incertaine, à lui dire certainement « attends-moi » avec ces réveils étourdis et lourds, ils s’étreignent, impudiques, parodies d’espérances, ce lien tranché, rattrapez-vous, oui fuyez, ne reste plus que cela, vous êtes beaux,
garder le lien,…
je marchais vite pour mieux profiter des retrouvailles, pouvais-je les retenir, le rêve et la dérision n’ont pas de frontière, ils sont partis, la rue s’entrouvre et subit ses mornes apparats, le badaud se nourrit de ces froides illusions, l’aube, les stores qu’on relève, les dernières laveuses d’un pavé bien scellé, bon je vais boire un café...
photos prises lors du spectacle de rue "la révolte des mannequins" de la Compagnie Royal de Luxe
à venir, une autre balade avec d'autres mannequins, nous ne sommes pas seul