c’est un champ, pas celui de David et de son échelle d’anges mais peut-être pas si loin
moi, j’avais quatorze ans, j’avais vu l’année précédente la rue, ses drapeaux d’utopies et ses matraques, il respirait sur les murs un souffle d’inattendu, de révoltes, ma règle en centimètres marquée en manche de guitare et une prof de français qui dépassait l’orthographe pour élever nos consciences, et puis ma mère entre sa vaisselle, nos devoirs et son fer à repasser, mon père, harassé au retour du boulot, métro, dodo,
c’était le département du quatre vingt treize, les cités enflaient, colonisaient le moindre espace, aux récrés soudain les bandes, d’autres langues et aux déchirures crachotées des radios, le sang d’Asie et des refrains fades et lénifiants
je me souviens, suis sorti du ciné comme emporté,
là-bas de l’autre coté de l’océan, ils s’étaient unis d’amour et de musique, de tolérance et de paix, la révolte des campus s’était mutée en brassées de fleurs et volutes artificielles, ce dernier soubresaut allait engendrer quelques années d’utopies de Frisco à Katmandou, de Londres à Berlin, les hippies succédaient aux beatniks, non violence et rejet du consommable, Wharol n’avait pas encore transformé la conserve en œuvre d’art et moi j’ai continué béatement mes enseignements, lire oui mais pas compter, quatre et demi de moyenne en math, Kerouac, Leary, Prévert, Ginsberg en livres de chevet et la rue, on y dormait encore tranquille, errer par défi, conscience, aspirer à l’ailleurs pour se construire humain, et se chercher, comme traces tous ces élans fredonnés, nos éphémères aspirations en étendard, le sac sur l’épaule, la route et ses lots d’imprévus,
n’empêche, dans l’époque si loin des encravatés patentés pour décrier, trop suffisants et restreints pour prédire, reste une vision humaniste bientôt sauvegarde de l’espèce,
je me souviens, suis resté fidèle à l’éthique et au partage, three days of peace and music,
désormais cadre, mes bracelets trahissent sans tatouages ni cartes, tous mes battements et espoirs, joue encore, pose tes notes à mon rêve, emporte-le, la boue n’est pas sale et nos chants nous élèvent, désormais à l’anonyme de leurs claviers, ils jettent la critique et l’opprobre sur ces temps là, comme ci cette époque de nihilisme tribal, de morale piétinée, de sirènes et de caméras valait mieux que celle de cinq cent mille égarés venus communier dans l’amour et la musique, les fleurs piétinées laisseront place au no futur, aux voitures incendiées, aux drones et leur silence de sang,
même cheveux courts, caméléon éprouvé bien hypocrite aux tendances et rites, c’est l’humanisme, l’écoute, cette philosophie d’ouverture et d’attention qui marginalise, joue pas le jeu, solitaire si vous saviez, tellement imprégnés, vos dogmes vous aveuglent,
alors,…
les pâturages de Bethel sont protégés maintenant, sorte de nécropole dédiée à l’humain et à des idéaux déchus, restent quelques accords de blues à ceux qui voudront bien les entendre…
photos : woodstock / Michael WADLEIGH
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