c’était une rue normale
une rue quoi, avec ses échoppes, ses couleurs,
ce grouillements d’ethnies pacifistes
je m’y sentais bien, ma peau et mes cheveux
enfin confondus
et ces effluves rebelles
qui font le sourire aux visages,
l’ailleurs on ne l’aime qu’aux étals
- tes papiers !
je me retourne, surpris et innocent
ils sont deux, un grand un petit
comme au cinéma
non, pas comme au cinéma
la suite ne se dit pas, la suite se tait
- alors ! ça vient ! t’es pas dans la jungle ici,
on a d’autres choses à foutre !
je lui tend ma carte en attente de confirmation,
juste une signature,
- ouais, tu nous suis et tu fermes ta gueule, négro !
il m’agrippe, me bouscule, me donne une frappe sur la nuque,
et d’un coup de pied au genou me fait choir
je me recroqueville sur cet asphalte puant la pisse,
relents de parfum et d’échappement
le bateau tremble, secoué d’ondes maléfiques
- écoutez-moi, vous avez vu, ici on prend pas les fardeaux
un corps de trop c’est une charge à exclure,
vous la voulez la côte ? alors fermer vos gueules !
parfois les mots sont bien vains
la mer s’est occupée de nous, la vague a fait le juge
et l’orgueil du passeur si désuet soudainement
son regard me déchire
il est hautain et de haine
c’est ma couleur qui lui déplait
je dois le penser si fort qu’il m’assène son poing au visage
- bon, donne tes papiers et baisse les yeux !
c’est pas un black qui va faire la loi !
on a chaviré, j’entends encore les cris
que l’océan veut faire taire, le remous comme une gomme,
plus de capitaine, d’autres esclavagistes m’attendent
et que je ne soupçonne pas
ils sont démocrates et porteurs d’uniformes
et puis ceux de l’écran avec leurs belles cravates
ma terre tu me manques, c’est pas le paradis ici
- alors tu fais quoi ?
- je travaille dans le bâtiment, monsieur, je suis maçon
- arrête de me regarder, t’entends p’tit branleur !
- ben c’est juste pour vous répondre, m’sieur
j’ai pas fini ma phrase, j’ai juste entrevu
le pied botté se projeter vers moi
……………. ………….
on a marché, des jours et des jours
parfois accrochés au toit d’un bus
souvent terrés à mendier l’essentiel,
une route de peur et de corruption,
de mort et de peur encore
- allez, tires-toi, c’est bon pour cette fois
je vais vers la sortie, doucement
- eh, négro, tu comptes ramener la famille ? !
au fond de ses yeux toute la puissance
de l’analphabète glorifié et soumis
j’ai retrouvé la rue
dans l’ombre et la nuit
pas de différence de peau
et ceux de ces heures si loin de l’intolérance
égarés sans pays non plus
même pas celui de l’âme
comme d’étranges fantômes
au front des refusés ils avancent, naïfs
leurs cris comme des pétales
flétris aux trottoirs et aux matraques
allez je vrille le texte, les mots
je suis français désormais
j’ai ma carte dûment signé
je suis toujours noir
et j’observe et subis
délit de couleur, mes proches plus jeunes
toujours suspects
mes amis du maghreb, tuméfiés et hostiles
à l’ignominie
et ces relents perpétuels
de racisme et de différences
les biens blancs du pays et ceux d’ailleurs
forcément agresseurs
je sui français ben j’aurai pas dû
j’ai honte,
des patrons propriétaires de presses, d’industries
qui jouent avec l’équivalent du budget de mon pays,,
le maniement sournois d’une icône omniprésente
et dangereuse
ma terre d’origine toujours en suspend
et des rues policées aux faciès comme passeport
comme droit de vivre,
le vent tiède et chargé serpents et gazelles
vous tomberez
il leur faut sonder le sang, ils n’en ont pas assez versé !
ils fonts des grenelle et des commissions
et les cris étouffés
sont loin d’aveugler une presse ronronnante
même leurs syndicats s’abreuvent au patronat
pour compenser le manque d’engagés,
l’argent, celui de l’ombre
et de la trahison
là, j’étais à vélo quand ils m’ont arrêté
j’ai rien grillé, je suis pas sorcier ni cannibale
je suis noir
gentil, lucide et fier
- j’ai rien fait de mal m’sieur !
encore la même peur, regrets zébrés
aux affres des présents
j’ai couru, mon cœur en souffles demandeurs
ce soir c’était mon jour
certainement
au filet du caniveau ma bave et mon sang
et le reflet des badauds
j’ai senti l’haleine de la terre
et le pouvoir des hommes,
le long du canal
des tentes alignées…